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Anatomie d'un chef-d'œuvre musical suivie de quelques considérations historiques et remarques linguistiques picardes
Titre aussi concis que culturel pour un nouvel article de ...
Le chef-d'œuvre en question s'intitule Charlot l'bochu et nous est offert par les Capenoules, groupe symphonique et vocal éminemment intellectuel que tout amateur de se doit de connaître !
Au cas invraisemblable où quelqu'un n'aurait pas connaissance de ces grands artistes, nous vous rappelons qu'un article pratiquement exhaustif leur fut consacré dans ce blog :
Cliquez donc -----> ici
Bref, vous l'avez compris, encore une fois à lire au second degré, et pas pour les yeux et les oreilles sensibles...
Ecoutez... et regardez d'abord le chef-d'œuvre agrémenté de quelques images d'époques.
Note de Dudu à l'attention des visiteurs pointilleux : Non, le s au bout d'époques n'est ni une faute de frappe, ni une erreur orthographique. Il s'agit bien d'images de deux époques différentes : l'une, les années 1900-1920 évoquées dans la chanson ; l'autre, les années 1970, période de gloire des Capenoules...
Passons maintenant au texte tout en nuances et en finesse littéraire :
Refrain :
Ch’est mi Charlot l’bochu, Roubaix, Tourcoing , m’a vu,
dins ches cafés.-concerts,
In sifflot des grands verres. In sifflot des grands verres
À l’âge eud’ six ans, j’allos à l’école,
j’allos à l’école du père Anatole
Ha ! Mes bons amis, j’ m’in rappellerai toudis,
j’ quios dins m’maronne chaque fos qu’ j'étos puniRefrain
À l’âge eud’ douze ans, j’ faisos m’communion,
j’ faisos m’communion à l’église St Jean
Ha ! Mes bons amis, j’ m’in rappellerai toudis,
j’avos comme candelle eul’ boujon d’eune équelleRefrain
À l’âge eud’ quinze ans, j’allos à l’ gymnasse,
j’allos à l’ gymnasse pour devenir un as
Ha ! Mes bons amis, j’ m’in rappellerai toudis,
j’ faisos l’ grand solel avec mes deux ortelsRefrain
À l’âge eud’ seize ans, j’allos à l’usine,
j’allos à l’usine du vieux père Achille
Ha ! Mes bons amis, j’ m’in rappellerai toudis,
J’ filos toutes les files, au lieu d’ filer min filRefrain
À l’âge de dix-huit ans, j’ai passé l’ consel,
j’ai passé l’ consel pour la révision
Ha ! Mes bons amis, j’ m’in rappellerai toudis,
z’étottent stomaqués eud’ vir min père LouisRefrain
À l’âge eud’ dix-neuf ans, j’ai perdu m’ quinzaine,
j’ai perdu m’ quinzaine dins les cabarets
Ha ! Mes bons amis, j’ m’in rappellerai toudis,
j’pissos dins m’ maronne tellemint qu’ j’avos d’ plaijiRefrain
À l’âge eud’ vingt ans, j’allos à la guerre,
j’allos à la guerre, pour tuer l’ Kaiser
Ha ! Mes bons amis, j’ m’in rappellerai toudis,
j’avos comme fusil un manche eud’ parapluieRefrain
À l’âge eud’ trente ans, j’avos un infant,
j’avos un infant, gros comme un cochon
Ha ! Mes bons amis, j’ m’in rappellerai toudis,
eum’mère elle me dijot qu’i’ étot plus biête que miRefrain
Passons donc l'analyse de texte, partie culturelle (!!!!!!) et linguistique de notre article en liaison avec la rubrique patois de notre blog. Nous procéderons par ordre vaguement alphabétique comme de coutume dans nos pages...
boujon : C'est un belgicisme qui désigne un barreau de chaise , de balustrade ou d'échelle. Ce mot est aussi employé dans le parler populaire morvandais et normand.
cabaret : Un cabaret ou un estaminet est originellement un débit de boissons, synonyme de café, mais servant en général de la bière et proposant aussi du tabac et des jeux traditionnels.
Œuvre de Léopold Simons (voir -----> ici)candelle : une chandelle. Le patois du Nord a tendance à transformer les "ch" en "qu". Du coup, on voit tout de suite ce qu'est une équelle et ce que c'est que quier !
Voir la lettre C dans l'article -----> iciconsel : Conseil. Le patois n'aime pas le son "ille" final, il le transforme en "l". Voir dans la même chanson : ortel, solel, files.
Au siècle dernier, les conscrits passaient le Conseil de Révision, sorte de visite médicale pour décider s'ils étaient aptes à faire leur service militaire.filer : J' filos toutes les files au lieu d' filer min fil.
Admirez la finesse du jeu de mots autour du fil...gymnasse : Le patois n'aime pas trop le son "z". Ainsi, église devient égliche ou églisse, fraise devient fraisse, anglaise devient inglaisse... Et gymnase devient gymnasse.
Au début du xxe siècle, les pratiques physiques d’entretien s’organisent autour du culte de la force, tant dans les sociétés militaires que dans les gymnases de culture physique. Il était de bon ton de fréquenter le gymnase comme preuve de masculinité.Le Kaiser : empereur d'Allemagne au XIXe siècle et au début du XXe. Le dernier Kaiser fut Guillaume II destitué à la fin de la deuxième Guerre Mondiale en 1918. Ce qui permet de dater approximativement la chanson.
maronne : culotte. Une maronne est une culotte, quelquefois on dit les maronnes, qui désignent alors plutôt un pantalon.
Armonte et' maronne, tin patalon i quet. (ton pantalon tombe)
Trinner dins ses maronnes. (avoir peur)
Alle porte les maronnes. (c'est la femme qui commande)
N' pos t'nir dins ses maronnes (un gringalet)
Quind in dit à un homme qu'y a rin dins s'maronne, ch'est pos flatteur pour li !
Pour parler d'une mauvaise bière, on dit:
- Alle sint l' maronne du brasseux !
I li a mis s’ main à s’ maronne, pour qu’elle li cultive ses prones.
(Les Capenoules - Les filles de St Sauveur) -sans commentaires...-Père Louis : Allusion au sexe masculin, d'origine inconnue, apparemment pour la rime avec toudis...
néanmoins, ledit sexe revient souvent dans les chansons des Capenoules. Voir : Min p'tit s'rin (-----> ici), Min p'tit arrosoir, Min poreau, Min p'tit frère...quinzaine : Autrefois, les ouvriers touchaient leur salaire toutes les deux semaines, d'où le terme quinzaine. Certains s'empressaient d'aller la dilapider au cabaret.
On disait aller à l'quinzaine quand on allait recevoir son salaire au bureau de l'usine.
Quand quelqu'un avait mauvaise mine, on lui disait : " In dirot qu' t' as perdu t' quinzaine !"siffler des verres : boire d'un trait. Expression déjà en usage au XVe siècle
toudis : toujours, voir -----> ici
Petit apparté sur la conjugaison à l'imparfait en patois :
J'allos, j' quios, j'étos, j'avos, j' faisos,j' filos, j'pissos
elle dijot, i' étot
z' étottent
les "ai" finaux du français se transforment en "o".
A titre d'exemple la conjugaison complète des auxilaires être et avoir d'après Guy Dubois.Signalons pour conclure que les bochus sont encore à l'honneur dans l’œuvre des Capenoules.
Deux titres reprennent le thème :Ratatchu bochu
et (Cliquer sur le titre pour afficher le lecteur)
Tags : charlot l'bochu, capenoules, patois, picard, boujon, maronne, toudis
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